Principes humanitaires
Les principes humanitaires ont été codifiés de façon précise et unifiée par le mouvement de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge dont ils inspirent l’action. Les sept principes du mouvement de la Croix-Rouge sont l’humanité, l’impartialité, la neutralité, l’indépendance, le volontariat, l’unité et l’universalité.
▸ Croix-Rouge, Croissant-Rouge
L’action humanitaire s’est cependant largement développée en dehors de ce mouvement, et les principes humanitaires ont connu des interprétations différentes destinées à améliorer l’efficacité des actions d’aide humanitaire.
C’est le cas notamment du principe de neutralité. L’interprétation stricte de ce principe ainsi que le respect d’une confidentialité absolue sont apparus à certains acteurs humanitaires comme un obstacle à la protection efficace des victimes des conflits.
Le silence que s’était imposé la Croix-Rouge internationale pendant la Seconde Guerre mondiale a été au centre de la polémique sur ce principe. Une organisation telle que Médecins sans frontières, en refusant de soumettre l’action de secours à la confidentialité, a conçu le témoignage sur le sort des victimes comme un moyen supplémentaire de protection.
L’action humanitaire contemporaine se réfère donc à un nombre plus limité de termes tels que l’humanité, l’indépendance, l’impartialité et la neutralité qui sont interprétés en lien avec leur efficacité opérationnelle. La neutralité ne représente plus aujourd’hui un dogme absolu de l’action humanitaire mais un moyen dont la valeur peut être remise en question dans certaines situations.
Ce débat sur la neutralité de l’action humanitaire pose aujourd’hui la question de l’existence d’un principe de responsabilité des organisations humanitaires face à certaines situations de violence extrême contre les populations.
Le droit humanitaire de son côté ne fait référence qu’à deux principes. Les Conventions de Genève exigent que les organisations de secours soient humanitaires et impartiales. Elles établissent également un certain nombre de principes opérationnels concernant les activités concrètes de secours ou de protection de ces organisations.
Ces principes généraux et principes opérationnels de l’action humanitaire ont fait l’objet d’une rédaction spécifique dans le cadre notamment du code de conduite du mouvement de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge et dans le cadre de la charte humanitaire du projet Sphère.
Principe d’indépendance
L’action humanitaire doit être indépendante de toute pression politique, financière, militaire et ne doit avoir pour seule limite, pour seule contrainte et pour seul objectif que la défense de l’être humain. Les organisations de secours doivent donc pouvoir offrir la preuve de leur indépendance à l’égard des contraintes financières, économiques, politiques, religieuses… Les actions de secours doivent également être indépendantes de pressions militaires, politiques, idéologiques ou économiques.
C’est autour de cette notion que s’organise la différence entre l’action humanitaire conduite par des États et celle conduite par des organisations privées. Le caractère privé de l’organisation ne suffit pas à lui seul à prouver l’indépendance de celle-ci. Des éléments tels que le financement général de l’organisation, ses principes fondateurs et la transparence de son fonctionnement doivent être pris en compte.
Principe d’impartialité
Dans les Conventions de Genève, c’est le terme « impartial » qui qualifie l’action de secours humanitaire. Ce principe essentiel de l’action humanitaire qualifie le secours sans discrimination. Il rappelle l’égalité des hommes dans la détresse. Personne ne peut être privé des secours dont il a besoin.
L’impartialité ne doit pas être confondue avec une neutralité arithmétique de l’aide qui consisterait à donner des secours de façon égale à chaque partie en présence sous prétexte de n’en favoriser aucune. L’impartialité exige que les secours soient donnés de façon prioritaire aux plus nécessiteux, quelle que soit leur appartenance.
Ce principe clé de l’assistance humanitaire, comprend deux éléments complémentaires :
- la distribution des secours et le traitement humain des victimes doivent être réalisés sans aucune distinction défavorable liée à des critères de race, de religion ou d’opinion politique ou d’appartenance à l’une ou l’autre des parties à un conflit armé ;
- une priorité dans les secours doit être donnée aux plus nécessiteux, y compris dans le domaine médical. Ce deuxième principe suppose donc que les secours humanitaires ne sont pas donnés de façon égale mais de façon équitable en fonction de la vulnérabilité et des besoins spécifiques des individus et des populations affectés. L’acteur de secours est donc autorisé à agir de façon discriminée en se fondant sur l’importance et l’urgence des besoins des populations et des individus. Ce principe d’impartialité et de non-discrimination entre les victimes a été reconnu comme essentiel par la Cour internationale de justice pour distinguer entre l’action humanitaire légitime et l’intervention illégale d’un État dans les affaires intérieures d’un autre état ( infra Jurisprudence).
Principe de neutralité
La neutralité consiste à ne pas prendre part à un conflit directement ou en s’alliant à l’un ou l’autre des belligérants. C’est un concept lié à la politique internationale. Il a été élaboré par certains États pour leur permettre de rester extérieurs aux alliances militaires et aux conflits dans lesquels leurs voisins étaient engagés. L’extensionde ce principe aux organisations de secours suppose des aménagements et une interprétation différente du concept.
- La neutralité des États obéit à un régime spécifique défini par le droit de la guerre. L’État neutre s’engage à ne pas prendre part aux hostilités, à s’abstenir de tout acte hostile et de tout acte qui pourrait confier un avantage militaire à une partie au conflit.
- La neutralité humanitaire consiste à faire admettre que les actions de secours ne constituent pas en elles-mêmes des actes hostiles, ni une contribution effective à l’effort de guerre de l’un des belligérants.
Ce principe a aidé, dès l’origine, à mettre à l’abri des hostilités les membres des sociétés de secours.
C’est l’un des principes fondamentaux du mouvement de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge qui, afin de conserver la confiance de tous, s’abstient de prendre part aux hostilités, et, en tout temps, aux controverses d’ordre politique, racial, religieux ou idéologique. La doctrine de la Croix-Rouge concernant la neutralité a évolué dans les années 1990, considérant que la dénonciation des violations graves du droit humanitaire commises par les différentes parties à un conflit ne constituait pas une participation aux controverses politiques et n’était donc pas une violation de la neutralité de l’organisation.
Outre les quatre Conventions de Genève de 1949 et le Protocole additionnel I de 1977, plusieurs conventions internationales traitent de cette question :
- la Déclaration de Paris de 1856 arrêtant certaines règles de droit maritime en temps de guerre ;
- la Convention de La Haye de 1907 concernant les lois et coutumes de la guerre sur terre ;
- la Convention de La Haye de 1907 relative à la pose de mines sous-marines automatiques de contact ;
- la Convention de La Haye de 1907 pour l’adaptation à la guerre maritime des principes de la Convention de Genève du 6 juillet 1906 ;
- la Convention de La Haye de 1907 relative à certaines restrictions à l’exercice du droit de capture dans la guerre maritime ;
- la Convention de La Haye de 1907 concernant les droits et les devoirs des puissances neutres en cas de guerre maritime ;
Principes opérationnels
- Les grands principes humanitaires doivent se traduire de façon pratique dans les opérations de secours, car c’est grâce à eux que les organisations humanitaires ont des droits et des obligations.
- Sur les sept principes fondamentaux de la Croix-Rouge, deux seulement figurent dans les quatre Conventions de Genève (et leurs deux Protocoles additionnels) pour qualifier l’action humanitaire. Ce sont les principes d’humanité et d’impartialité, que la Cour internationale de justice a également érigés en critères de qualification de toute action humanitaire (Affaire des activités militaires et paramilitaires au Nicaragua et contre celui-ci, 1986).
- Les Conventions prévoient un droit d’initiative humanitaire général au profit des organisations de secours qui sont humanitaires et impartiales.
Ce droit d’initiative est complété par des droits spécifiques relatifs aux opérations concrètes de secours prévus par les Conventions de Genève et leurs Protocoles additionnels. Ils définissent des standards opérationnels.
- Toute organisation humanitaire impartiale peut se voir accorder :
- le libre accès aux victimes des situations de conflit ;
- le droit de libre évaluation des besoins humanitaires de ces victimes ;
- le droit d’entreprendre des actions de secours quand la population souffre de privation excessive par manque d’approvisionnement en biens essentiels à sa survie ;
- le droit de contrôler que la fourniture de ces secours s’effectue sans aucune discrimination défavorable autre que celle fondée sur les besoins ;
- le droit de soigner les malades en tout temps et en tout lieu conformément aux principes de la déontologie médicale.
- Ces standards opérationnels doivent être respectés et défendus dans l’action quotidienne par les organisations de secours.
Ils peuvent être invoqués dans toutes les situations de conflit. Ils doivent être rappelés dans les accords signés entre l’organisation humanitaire et les autorités nationales ou autres.
Les organisations de secours participent ainsi à consolider et à renforcer la coutume internationale des secours humanitaires. À défaut, elles risquent au contraire d’affaiblir les principes du droit international humanitaire.
- la Déclaration de Londres de 1909 relative au droit de la guerre maritime ;
- le procès-verbal de Londres de 1936 concernant les règles de la guerre sous-marine prévues par le traité de Londres de 1930.
Ce principe de neutralité a été l’objet de nombreuses controverses autour du silence du CICR pendant la Seconde Guerre mondiale. Les contours de ce principe ont depuis été révisés.
- Aujourd’hui, la neutralité n’est plus présentée comme un principe intangible de l’action humanitaire, mais comme un principe opérationnel. Cela signifie qu’il ne sera respecté qu’au regard de son efficacité dans l’action de secours. Il est admis que la prise de position publique ne contrevient pas forcément à ce principe. La neutralité n’est pas synonyme d’obligation de silence ou de confidentialité absolue. Elle se décline diversement selon les situations et selon le type d’activité de secours pratiqué. Elle ne s’oppose pas à une communication soucieuse de l’intérêt général des victimes et respectueuse du caractère « sensible » de certaines informations.
Le mouvement international de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge a d’ailleurs entériné le fait de procéder lui-même à des dénonciations publiques des violations graves et répétées du droit humanitaire lors du conflit en ex-Yougoslavie notamment.
Le droit humanitaire prévoit lui-même que ces dénonciations doivent être adressées aux États et à l’ONU (GPI art. 89). De toute évidence, l’opinion publique et les médias ont également un rôle majeur à jouer dans cette chaîne des recours.
Principe de responsabilité humanitaire
L’existence de l’ensemble de ces principes, notamment les principes opérationnels, pose la question de la responsabilité des organisations de secours quand ces principes ne sont pas respectés. L’application du droit humanitaire ne repose passur les seuls belligérants mais sur le droit et les initiatives des organisations de secours. Il n’est pas possible d’éluder la responsabilité de ces organisations en tant qu’acteurs directement impliqués dans certaines situations où les secours ne permettent pas de protéger la sécurité et la vie des populations. Par exemple, quand les secours sont détournés par les belligérants ou utilisés pour piéger ou commettre des actes de violence contre les populations concernées. Enfin la responsabilité des organisations humanitaires peut également être mise en cause quand les membres de leur personnel sont témoins directs de crimes et autres violations graves du droit humanitaire. Ces aspects seront développés dans le cadre de la rubrique sur la responsabilité.
Consulter aussi
▸ Secours ▹ Protection ▹ Droit d’initiative humanitaire ▹ Droit d’accès ▹ Droit international humanitaire ▹ Croix-Rouge, Croissant-Rouge ▹ Organisation non gouvernementale
Jurisprudence
Dans son jugement concernant les activités militaires et paramilitaires au Nicaragua et contre celui-ci (Nicaragua c. États-Unis d’Amérique), fond, arrêt, C.I.J. Recueil 1986 , p. 14, la Cour internationale de justice a affirmé qu’« il n’est pas douteux que la fourniture d’une aide strictement humanitaire à des personnes ou à des forces se trouvant dans un autre pays, quels que soient leurs affiliations politiques ou leurs objectifs, ne saurait être considérée comme une intervention illicite ou à tout autre point de vue contraire au droit international. Les caractéristiques d’une telle aide sont indiquées dans le premier et le second des principes fondamentaux proclamés par la vingtième conférence internationale de la Croix-Rouge aux termes desquels : “Née du souci de porter secours sans discrimination aux blessés des champs de bataille, la Croix-Rouge, sous son aspect international et national, s’efforce de prévenir et d’alléger en toutes circonstances les souffrances des hommes. Elle tend à protéger la vie et la santé ainsi qu’à faire respecter la personne humaine. Elle favorise la compréhension mutuelle, l’amitié, la coopération et une paix durable entre tous les peuples. Elle ne fait aucune distinction de nationalité, de race, de religion. Elle s’applique seulement à secourir les individus à la mesure de leur souffrance et à subvenir par priorité aux détresses les plus urgentes” » § 242. « Selon la Cour, pour ne pas avoir le caractère d’une intervention condamnable dans les affaires intérieures d’un autre État, non seulement l’“assistance humanitaire” doit se limiter aux fins consacrées par la pratique de la Croix- Rouge, à savoir “prévenir et alléger les souffrances des hommes” et “protéger la vie et la santé [et] faire respecter la personne humaine” : elle doit aussi, et surtout, être prodiguée sans discrimination à toute personne dans le besoin au Nicaragua, et pas seulement aux contras et à leurs proches », § 243. « […] La Cour conclut que le motif tiré de la préservation des droits de l’homme au Nicaragua ne peut justifier juridiquement la conduite des États-Unis et ne s’harmonise pas, en tout état de cause, avec la stratégie judiciaire de l’État défendeur fondée sur le droit de légitime défense collective. […] l’emploi de la force ne saurait être la méthode appropriée pour vérifier et assurer le respect de ces droits », § 268.
Pour en savoir plus
Blondel J. L., « Genèse et évolution des principes fondamentaux de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge », Revue internationale de la Croix-Rouge , n° 790, juillet-août 1991, p. 369-377.
Kalshoven F., Impartialité et neutralité dans le droit et la pratique humanitaires, CICR, Genève, 1989 (tiré à part de la Revue internationale de la Croix-Rouge ).
Levinas E., Humanisme de l’autre homme , Le Livre de poche, Paris, 1987.
Mattli K. et Gasser J. « Neutralité, impartialité et indépendance : la clé de l’acceptation du CICR en Irak », Revue internationale de la Croix-Rouge , n° 869, mars 2008. Disponible en ligne sur http://www.icrc.org/fre/assets/files/other/irrc-869_mattli-gasser-fre.pdf
Swinarski C. (rédacteur ), Études et essais sur le droit international humanitaire et sur les principes de la Croix-Rouge (en l’honneur de Jean Pictet), CICR, Martinus Nijhoff Publishers, 1984, 1 143 p.
Thurer D., « La pyramide de Dunant : réflexions sur “l’espace humanitaire” », Revue internationale de la Croix-Rouge , n° 865, mars 2007. Disponible en ligne sur http://www.icrc.org/fre/assets/files/other/irrc-865-thurer.pdf